La brasserie publique SN-BRAFASO vient de faire un retour très attendu sur la scène agro-industrielle burkinabè. Fermée depuis près de deux décennies, l’usine de Komsilga a rouvert ses portes le 25 novembre, marquant un tournant majeur dans un secteur dominé depuis des années par le géant français Castel. Cette relance, portée par l’État burkinabè, redessine l’équilibre d’un marché devenu stratégique aussi bien pour l’économie que pour la souveraineté industrielle du pays.
La réhabilitation de l’usine, financée à hauteur de 17,9 milliards FCFA, n’est pas qu’un simple projet industriel. Pour les autorités, elle symbolise la capacité du pays à reprendre le contrôle de secteurs laissés aux mains d’acteurs étrangers pendant trop longtemps. Le capitaine Ibrahim Traoré, présent lors de l’inauguration, a clairement positionné SN-BRAFASO comme un outil de reconquête économique, à un moment où son gouvernement revendique un plus grand rôle de l’État dans la production locale.
La nouvelle ligne de production, capable de sortir 600 000 hectolitres par an, permet à la brasserie publique d’entrer de nouveau dans l’arène avec deux marques, Braf’or et Brafaso. Ce retour intervient alors que le marché a profondément évolué depuis la fermeture de l’entreprise en 2008. Castel, via sa filiale Brakina, y règne presque sans rival, appuyé par un vaste réseau de distribution et une capacité industrielle qui dépasse largement le million d’hectolitres.
Mais le paysage n’est plus aussi figé qu’il y a vingt ans. En 2019, Libs Brasserie, portée par l’investisseur indien Vaswani Lakhi, a fait une entrée remarquée avec une capacité annuelle de 430 000 hectolitres et deux marques; Marina et Libs, qui ont progressivement trouvé leur place dans les habitudes de consommation. L’arrivée de ce deuxième acteur avait déjà commencé à fissurer la domination de Castel. Avec le retour de SN-BRAFASO, c’est désormais une véritable compétition à trois qui s’impose.
Cette évolution ne signifie pas une guerre sans merci, car le marché burkinabè de la bière est en expansion continue. Entre 2018 et 2024, la production nationale est passée de 2,1 millions à 3,1 millions d’hectolitres, selon BarthHass. Le Burkina Faso se positionne même comme le deuxième producteur de l’UEMOA, derrière la Côte d’Ivoire. Une croissance qui laisse entrevoir une cohabitation possible entre plusieurs brasseries, à condition de maîtriser les prix, la qualité et la distribution.
Pour SN-BRAFASO, le défi est immense mais stratégique : reconquérir des consommateurs fidèles à Castel, imposer ses marques dans les maquis et les zones rurales, et bâtir un réseau logistique capable d’irriguer tout le territoire. Son retour marque néanmoins un signal fort : celui d’un État qui veut redevenir un acteur majeur dans un secteur dominé par des intérêts privés étrangers. Et surtout, celui d’un marché burkinabè qui s’ouvre à une nouvelle ère de concurrence.