Santé africaine : la course vers une souveraineté pharmaceutique

La crise du COVID-19 a servi d’électrochoc continental. En 2020, l’Afrique dépendait de l’étranger pour 99 % de ses vaccins et plus de 70 % de ses médicaments. Cinq ans plus tard, le continent a enclenché une dynamique inédite : construire une industrie pharmaceutique intégrée, capable de produire localement et de sécuriser son approvisionnement sanitaire.

Le potentiel est immense. Selon McKinsey & Co, le marché pharmaceutique africain pourrait atteindre 85 milliards de dollars d’ici 2030, contre 45 milliards en 2020, attirant capitaux internationaux et partenariats stratégiques. En 2025, l’Africa CDC a lancé la plateforme AMMINA, qui cartographie plus de 700 fabricants et 2 500 produits de santé dans 18 pays. L’ambition est claire : mutualiser les capacités, stimuler les synergies industrielles et réduire la dépendance extérieure.

Sur le terrain, plusieurs initiatives structurantes voient le jour. Au Sénégal, l’Institut Pasteur de Dakar porte le projet MADIBA, conçu pour produire jusqu’à 300 millions de doses de vaccins par an. En Égypte, Minapharm développe avec Sanofi des antiviraux destinés au marché régional. Au Maroc, une usine de pointe inaugurée en 2024 à Benslimane produit insuline et médicaments génériques à grande échelle.

La création de l’Agence africaine du médicament (AMA), basée à Kigali, marque un tournant institutionnel. En harmonisant les réglementations et en accélérant les procédures d’homologation, elle fluidifie le cadre opérationnel indispensable à l’essor industriel. « L’Afrique ne veut plus être uniquement un marché de consommation, mais un acteur mondial de la santé », affirme le Dr Jean Kaseya, directeur général de l’Africa CDC.

Le défi majeur reste toutefois financier. Produire localement coûte encore 20 à 30 % plus cher que l’importation depuis l’Asie. Pour combler ce différentiel, la Banque africaine de développement et la Banque mondiale ont mobilisé un fonds de 2,8 milliards de dollars destiné à soutenir les capacités industrielles et technologiques.

L’appui académique progresse également. Plus de quinze pays ont lancé des formations spécialisées en biotechnologie et pharmacologie industrielle. Le Ghana et le Kenya misent sur des centres d’excellence régionaux pour renforcer la recherche clinique et l’innovation scientifique.

L’Afrique a engagé une trajectoire ambitieuse vers l’autonomie sanitaire. Reste à savoir si cette dynamique se consolidera face à la concurrence asiatique et aux contraintes de coûts, ou si le continent parviendra à installer durablement une souveraineté pharmaceutique alignée sur ses besoins stratégiques.

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