Repenser la croissance au Maroc : Vers une économie plus inclusive et équitable malgré l’incertitude!

Oumaima SLAOUI :  Professeur et Docteur en Sciences Économiques et de Gestion 

Et si l’avenir économique du Maroc ne se jouait plus uniquement dans ses champs ni dans ses usines, mais plutôt dans sa capacité d’innovation, de résilience et d’inclusion ? Depuis son indépendance, le Royaume a construit son développement sur une économie agraire, soutenue par des politiques d’industrialisation successives, et de plus en plus tournée vers les promesses du secteur tertiaire. 

Cette transformation progressive de l’orientation stratégique du Maroc soulève aujourd’hui une question centrale : Quels sont les principaux obstacles auxquels font face les secteurs économiques pour assurer une croissance inclusive et équitable dans un contexte d’incertitude ?

Le secteur tertiaire constitue un levier essentiel pour une croissance inclusive au Maroc. Selon le Haut-Commissariat au Plan (HCP), il représentait environ 55 % du PIB en 2024 et contribuait à plus de 45 % de l’emploi total. Cependant, malgré ces performances économiques, plusieurs obstacles freinent son inclusivité. Plus de 70 % des très petites entreprises (TPE) de services restent non structurées et fortement concentrées dans les grandes métropoles, notamment Casablanca, Rabat et Tanger, ce qui accentue les déséquilibres territoriaux. Par ailleurs, la participation des femmes à l’activité économique reste très faible : le taux d’activité féminin ne dépasse pas 20 % en 2023, malgré le poids croissant du secteur tertiaire. Enfin, une note du HCPsouligne une inadéquation persistante entre la formation universitaire et les besoins réels des services tertiaires avancés, tels que le digital, l’offshoring, la recherche scientifique, le prototypage, l’innovation technologique ou encore le conseil et le consulting. Cette faiblesse limite le potentiel d’emplois qualifiés et inclusifs que pourrait offrir ce secteur en pleine mutation.

Le secteur industriel marocain connait une croissance soutenue, en grande partie grâce aux différents plans industriels mis en place, tels que le Pacte Émergence (2005), le Plan d’Accélération Industrielle (PAI 2014–2020), et la nouvelle stratégie industrielle 2021–2025.Ces politiques ont ciblé des secteurs à fort potentiel exportateur, notamment l’automobile, l’aéronautique, l’électronique, le textile et l’agroalimentaire, avec un impact significatif sur le PIB et les exportations : l’industrie génère aujourd’hui près de 30 % du PIB.Toutefois, cette croissance reste peu inclusive sur le plan de l’emploi local massif. En 2025, l’industrie marocaine employait environ 1,1 million de salariés, répartis dans 13 000 entreprises, dont 260 000 dans l’automobile et 230 000 dans le textile, le reste étant concentré dans l’agroalimentaire, la pharmacie et d’autres sous-secteurs. Cette faible inclusivité s’explique par plusieurs facteurs : la montée de l’automatisation, la concentration des chaînes de valeur dans quelques grandes entreprises, ainsi qu’une faible intégration des PME locales, ce qui limite les effets d’entrainement socio-économiques. En outre, l’industrialisation reste géographiquement concentrée dans les grands pôles urbains, notamment Tanger et Casablanca, ce qui accentue les disparités régionales et prive d’autres territoires d’opportunités industrielles.

À propos du secteur agricole, le Plan Maroc Vert (2008–2020), puis la stratégie Génération Green 2020–2030, ont eu pour principaux objectifs la modernisation de l’agriculture, l’amélioration des revenus ruraux et le soutien à l’entrepreneuriat agricole. Ces politiques ont permis de créer des emplois pour plus de 30 % de la population active, majoritairement en milieu rural, et ont contribué à réduire la pauvreté dans les zones agricoles à travers les projets du Pilier II, destinés à la petite agriculture. Cependant, le secteur agricole reste fragile et vulnérable aux aléas climatiques, notamment à la sècheresse. Il persiste également de fortes inégalités dans l’accès à l’eau et aux terres, et une pauvreté structurelle concentrée dans les zones rurales reculées, malgré les efforts engagés.

Ce panorama confirme la nécessité pour le Maroc de résoudre les problèmes qui s’accable chaque secteur pour passer d’une croissance quantitative ou classique à une croissance inclusive accompagnée d’une meilleure satisfaction des besoins fondamentaux (éducation, santé…), d’une réduction des inégalités sociales et régionales, d’une stimulation de l’entrepreneuriat féminin et d’une réduction du chômage et de la pauvreté. L’enjeu est clair : passer d’une économie segmentée à une économie intégrée, durable et inclusive, capable devenir un hub économique compétitif pour envisager les incertitudes et résister ainsi aux chocs extérieurs. 

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