C’est un symbole cloué au sol. Inkwazi, le Boeing 737 BBJ affecté aux déplacements du président sud-africain Cyril Ramaphosa, a été officiellement déclaré inapte au vol après un audit de sécurité accablant. L’appareil, qui devait incarner la souveraineté et la modernité d’un État parmi les plus industrialisés du continent, se révèle être une coquille vide, vieillissante, dangereuse. Pire : les défaillances mécaniques, notamment au niveau des moteurs, étaient connues depuis 2022. Deux ans d’inaction. Deux ans de négligence. Deux ans d’une responsabilité partagée, mais jamais assumée.
L’immobilisation d’Inkwazi dépasse de loin l’anecdote technique. Elle renvoie à un mal plus profond, quasi pathologique, qui mine les plus hautes sphères du pouvoir dans de nombreux pays africains : l’incapacité chronique à anticiper, à maintenir, à moderniser. Dans un État qui se veut locomotive du continent, l’aveu d’impréparation est brutal. L’avion du président ne vole plus. Et avec lui, c’est une partie de la crédibilité institutionnelle sud-africaine qui s’effondre, lentement mais sûrement, dans l’indifférence résignée d’une administration dépassée.
Faute de solution durable, Pretoria loue désormais des jets privés pour les missions présidentielles à l’étranger. Une opération de fortune, au coût exorbitant : jusqu’à deux millions de rands mensuels. Ce recours à la débrouille budgétivore contraste avec la rigueur exigée dans d’autres postes de dépenses publiques, et alimente un sentiment de décalage grandissant entre les élites et la réalité du pays. En 2016 déjà, une tentative de remplacement de l’appareil avait échoué, faute d’offres jugées adéquates. Le dossier, enterré comme tant d’autres, revient aujourd’hui hanter les couloirs du pouvoir.
Mais ce fiasco aérien révèle surtout une faille structurelle : la gestion du prestige l’emporte trop souvent sur la gestion de la durabilité. L’entretien des outils de souveraineté — avions, flottes militaires, infrastructures critiques — est relégué au second plan, sacrifié sur l’autel de l’urgence ou de l’apparence. En Afrique comme ailleurs, l’exercice du pouvoir ne se mesure pas uniquement à la posture diplomatique ou aux discours en tribune, mais à la rigueur invisible des décisions concrètes. Et c’est précisément là que le bât blesse.
L’affaire Inkwazi doit servir de signal d’alarme. Elle ne concerne pas seulement l’Afrique du Sud, mais l’ensemble des gouvernances africaines tentées de confondre légitimité et improvisation. Car un président dont l’avion ne peut plus décoller, c’est un État qui vacille dans sa propre image. Et c’est, surtout, une occasion manquée de montrer que le continent peut aussi faire de l’excellence technique et institutionnelle, non l’exception, mais la norme.