C’est l’un des paradoxes les plus cruels du continent africain : des pays riches en ressources, aux sous-sols regorgeant de pétrole, d’or, de gaz ou de cobalt, voient encore des millions de leurs citoyens faire la queue pour recevoir un sac de riz ou quelques portions de céréales. Au Nigeria, première puissance économique d’Afrique en termes de PIB, le Programme alimentaire mondial (PAM) alerte : près de 31 millions de personnes sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë. À l’heure où les cours du brut atteignent des sommets et où les exportations agricoles battent des records, cette “crise de la faim sans précédent” révèle une fracture structurelle entre la croissance économique et la survie des populations.
La situation nigériane, tragique à bien des égards, n’est que l’illustration la plus visible d’un déséquilibre continental. En Afrique de l’Ouest et centrale, l’aide alimentaire s’effondre, faute de financements internationaux. Le PAM, pris à la gorge par la baisse drastique des contributions américaines, n’assiste désormais que cinq millions de personnes contre plus du double l’an dernier. Le Mali et le Niger subissent des coupes de plus de 80 % dans l’aide d’urgence, pendant que les cliniques de nutrition ferment une à une. Pourtant, ces pays ne sont pas dépourvus de ressources : minerais, terres fertiles, richesse halieutique ou en hydrocarbures ne manquent pas. Mais cette richesse, mal répartie, mal gérée, ou captée par des élites déconnectées, échoue à remplir les assiettes.
Ce drame alimentaire n’est pas simplement le résultat de crises climatiques ou de conflits armés. Il traduit l’échec des modèles économiques et politiques à transformer les ressources en filets de sécurité durables pour les plus vulnérables. Il révèle aussi la fragilité d’un système d’aide fondé sur des donateurs étrangers, soumis aux caprices géopolitiques. Quand Washington réduit ses enveloppes, ce sont des enfants au Borno ou à Bangui qui meurent de faim. Et pendant ce temps, les chiffres de croissance, les volumes d’exportation et les grands forums sur l’investissement continuent d’alimenter un discours officiel déconnecté du réel.
L’Afrique ne manque pas de ressources. Elle manque d’un pacte de solidarité et de responsabilité. La souveraineté alimentaire ne peut pas être une promesse abstraite répétée dans les sommets. Elle doit devenir une priorité politique absolue, intégrée à chaque budget, chaque réforme, chaque vision. Il est temps de sortir de ce cercle infernal où la richesse cohabite avec la faim, où le potentiel rime avec le dénuement. Car une économie qui croît pendant que ses enfants dépérissent n’est pas en développement. Elle est en faillite morale.