C’est un mouvement discret mais profond, qui s’amplifie d’année en année. Face à une pression fiscale jugée écrasante, de plus en plus de dirigeants de petites et moyennes entreprises (PME) européennes choisissent de tourner le dos à leur pays pour s’installer sous des cieux plus cléments. En France, les prélèvements obligatoires atteignaient 45,4 % du PIB en 2023, l’un des taux les plus élevés du monde développé. L’impôt sur les sociétés, fixé à 25 %, s’accompagne de charges sociales qui peuvent dépasser 40 % du salaire brut. En Allemagne, le taux global d’imposition des bénéfices avoisine 30 %, sans compter les contributions locales et de solidarité. À cette pression s’ajoute une complexité administrative qui décourage bien souvent l’initiative, notamment dans les secteurs innovants.
À l’inverse, de nombreuses économies émergentes déploient une fiscalité accueillante, pensée pour séduire ces entrepreneurs européens en quête d’oxygène. Dubaï est devenue l’une des destinations favorites : impôt sur les sociétés plafonné à 9 %, absence totale d’impôt sur le revenu, simplicité bureaucratique et infrastructures ultramodernes. Le Maroc, grâce à ses zones franches comme Tanger Med ou Casa Finance City, offre jusqu’à cinq ans d’exonération fiscale, puis un taux réduit de 15 %. En Thaïlande, l’impôt sur les sociétés ne dépasse pas 20 %, et les revenus perçus à l’étranger peuvent échapper à toute imposition. Ces pays ne se contentent pas d’offrir un taux avantageux : ils bâtissent des environnements économiques fluides, pragmatiques et orientés vers la croissance.
Ce n’est pas seulement l’impôt qui pousse au départ, mais une philosophie fiscale perçue comme punitive dans de nombreux pays européens. Pour beaucoup de dirigeants de PME, la réussite n’est plus encouragée, mais taxée jusqu’à l’asphyxie. Le message implicite est clair : créer de la valeur, de l’emploi et prendre des risques n’est plus un mérite, mais un prétexte à prélever. En se délocalisant, ces entrepreneurs cherchent moins à fuir leurs obligations qu’à retrouver un cadre de liberté, de sécurité juridique et de prévisibilité économique. Et dans un monde globalisé, où le capital, les idées et les talents circulent plus vite que jamais, ils n’hésitent plus à franchir le pas.
Ce phénomène devrait alerter les gouvernements européens. À force de négliger l’écosystème entrepreneurial au nom d’un modèle fiscal rigide et souvent obsolète, l’Europe prend le risque de voir s’éroder l’un de ses piliers économiques les plus dynamiques. L’exil des créateurs d’entreprises ne signifie pas seulement une perte de recettes fiscales : il marque aussi un recul du tissu productif local, de l’innovation, de l’emploi. Pendant que Dubaï, Rabat ou Bangkok déroulent le tapis rouge aux bâtisseurs de demain, le Vieux Continent s’enferme dans une mécanique qui décourage l’initiative. Et si l’Europe veut rester compétitive, elle devra tôt ou tard réconcilier ambition fiscale et culture entrepreneuriale.