Paul Biya ou l’éternel recommencement

C’est une image rare, presque inattendue : Paul Biya, 92 ans, debout dans un stade de Maroua, saluant une foule en liesse. Pour la première fois depuis le début de la campagne électorale, le vieux lion est sorti de son silence. Le chef de l’État camerounais, au pouvoir depuis 1982, a promis sécurité, emploi et infrastructures à une région longtemps abandonnée, meurtrie par Boko Haram et minée par la pauvreté.

« Mon objectif, mes chers concitoyens, est que chaque jeune, où qu’il soit, puisse trouver un emploi ou devenir entrepreneur », a-t-il lancé d’une voix posée mais ferme, comme pour rappeler qu’il reste, malgré tout, le maître du jeu.

L’Extrême-Nord, à majorité musulmane, représente près de 20 % du corps électoral. C’est aussi un terrain de bataille symbolique : deux figures de l’opposition, Bello Bouba Maigari et Issa Tchiroma Bakary, anciens alliés devenus rivaux, y jouissent d’un solide ancrage. Mais dans un Cameroun où les réflexes clientélistes et la loyauté au pouvoir central pèsent lourd, l’avance du président sortant semble difficile à inverser.

Depuis plus de quarante ans, Paul Biya règne sur un pays qu’il dirige autant qu’il immobilise. Sous son autorité, le Cameroun a connu les crises, les guerres et les promesses non tenues : conflit anglophone, corruption endémique, sous-développement chronique. Malgré ses ressources naturelles, 43 % des Camerounais vivent encore dans la pauvreté, selon les chiffres de l’ONU.

Son retour de Suisse — un énième séjour médical non commenté — a relancé les spéculations sur sa santé. Mais dans une scène politique verrouillée, le président n’a pas besoin d’être fort pour être réélu : il lui suffit que le système tienne. L’exclusion de Maurice Kamto, son principal rival, et la division de l’opposition à neuf candidatures assurent déjà au pouvoir un avantage structurel.

Les élections camerounaises se suivent et se ressemblent : des scrutins sous tension, des accusations de fraude, et un appareil électoral largement acquis au régime. Depuis la suppression de la limitation des mandats en 2008, le scénario semble écrit d’avance. Biya ne fait plus campagne pour convaincre, mais pour rappeler qu’il est encore là — immuable, solitaire, éternel.

Au fond, la vraie question n’est plus de savoir si Paul Biya sera réélu, mais ce qu’il restera du Cameroun quand il ne le sera plus.

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