Maroc–Tunisie : un lien fracturé sous l’ombre d’Alger

Longtemps portées par une diplomatie de retenue et des liens historiques solides, les relations entre le Maroc et la Tunisie traversent aujourd’hui l’un de leurs épisodes les plus sombres. Ce refroidissement, d’abord discret, s’est progressivement transformé en rupture assumée, révélatrice d’un réalignement stratégique de Tunis sur l’axe algérien. Pour Rabat, cette inflexion n’est pas un simple désaccord passager, mais bien un tournant inquiétant dans la posture régionale tunisienne, contraire aux principes de neutralité et d’équilibre qui avaient jusqu’ici prévalu.

Le point de bascule a été atteint en août 2022, lorsque le président Kaïs Saïed a reçu en grande pompe à Tunis Brahim Ghali, chef du Polisario, mouvement séparatiste soutenu par Alger, lors du sommet Japon–Afrique (TICAD). Un geste que le Maroc a immédiatement interprété comme une atteinte à sa souveraineté et une rupture avec la tradition de neutralité tunisienne sur la question du Sahara. Rabat a réagi avec fermeté en rappelant son ambassadeur et en dénonçant une “attitude hostile” de la part d’un pays jusqu’alors perçu comme un partenaire fiable. Depuis, les relations diplomatiques sont gelées, et le dialogue bilatéral réduit à sa plus simple expression.

Derrière ce virage tunisien, c’est l’ombre de l’Algérie qui plane. En proie à une grave crise économique, Tunis a multiplié les signes de rapprochement avec Alger, principal fournisseur de gaz et soutien politique de Kaïs Saïed dans un contexte de fortes tensions internes. Alger, de son côté, y voit l’opportunité de renforcer son isolement du Maroc sur la scène maghrébine. En appuyant la cause séparatiste sahraouie, la Tunisie ne fait plus preuve d’équilibre : elle semble désormais s’aligner sur la stratégie régionale de l’Algérie, au prix d’un affaiblissement de son indépendance diplomatique. Pour Rabat, cette dérive est non seulement regrettable, mais contraire à l’esprit maghrébin.

Et pourtant, l’histoire commune entre le Maroc et la Tunisie offrait un tout autre horizon. Des luttes pour l’indépendance aux réformes économiques parallèles, en passant par des échanges universitaires, commerciaux et culturels soutenus, les deux pays avaient bâti une relation marquée par la confiance, la discrétion et la non-ingérence. Le Maroc n’a jamais cherché à instrumentaliser la crise tunisienne, préférant le respect à l’ingérence. Cette approche semble aujourd’hui mise à mal, remplacée par une logique de blocs qui affaiblit encore davantage un Maghreb déjà miné par la paralysie de l’Union du Maghreb Arabe.

Au-delà du contentieux diplomatique, ce glissement tunisien met en lumière une recomposition géopolitique où les intérêts de court terme priment sur les convergences de long terme. Le Maroc, attaché à la stabilité régionale et au respect de ses constantes nationales, refuse de céder face à des alliances dictées par des calculs opportunistes. Il continue de croire aux liens entre les peuples, mais il ne peut ignorer que la Tunisie s’éloigne d’une tradition de neutralité qu’elle avait su incarner avec équilibre. Dans cette fracture, ce n’est pas seulement un différend bilatéral qui s’exprime, mais un affaissement du projet maghrébin dans son ensemble — à l’heure même où les peuples, eux, n’ont jamais cessé d’y croire.

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