Lorsque le roi Mohammed VI a donné, jeudi 24 avril 2025, le coup d’envoi des travaux de la ligne à grande vitesse reliant Kénitra à Marrakech, l’événement a constitué une nouvelle confirmation de l’engagement de l’État marocain à établir les bases d’une mobilité collective moderne, durable et à faible émission de carbone, à travers un programme colossal dont le coût dépasse 96 milliards de dirhams. Les chiffres prometteurs annoncés par ce projet — une heure entre Tanger et Rabat, moins de trois heures entre Tanger et Marrakech, une liaison directe avec l’aéroport Mohammed V et le Grand Stade de Benslimane — ne sont pas seulement un étalage de prouesses techniques, mais aussi les signes d’une vision nationale visant à redessiner la carte de la mobilité entre les grandes villes.
Cependant, la vraie question qui se pose ici n’est pas seulement : « Combien de temps allons-nous gagner ? », mais : que ferons-nous de ce temps si les autres services restent coincés dans une logique du siècle dernier ?
Quel est l’intérêt de parcourir la distance entre Rabat et Marrakech en moins de deux heures, pour ensuite perdre une heure à chercher un moyen de transport local, ou attendre un « petit taxi » qui décide seul qui transporter, quand, et à quel tarif ? Quelle utilité d’arriver à toute vitesse dans une gare élégante, pour se retrouver ensuite confronté au chaos de la circulation et à l’absence de connexion fluide avec les transports urbains, illustrant ainsi une profonde fracture entre la « vitesse du train » et la « lenteur du système » ?
Le train à grande vitesse n’est pas seulement une question de rails, de gares, d’entretien et de milliards de dirhams. C’est un modèle civilisateur global qui exige des changements parallèles dans les politiques de transport urbain, une modernisation des législations locales, et une interconnexion des gares LGV avec des services intelligents de transport public, allant des bus électriques aux taxis organisés via des applications numériques, afin d’assurer au voyageur un trajet fluide de son arrivée jusqu’à sa destination, sans confusion ni perte de temps.
Le progrès ne se mesure pas seulement par la distance parcourue sur les rails, mais par la fluidité du voyage de porte à porte. C’est pourquoi le ministère de l’Intérieur, les collectivités locales et les conseils élus doivent sortir de leur rôle de simples spectateurs pour devenir de véritables partenaires, accompagnant la dynamique lancée par l’Office National des Chemins de Fer (ONCF), qui a annoncé pour sa part l’acquisition de 168 nouveaux trains pour un investissement de 29 milliards de dirhams afin d’élargir les services de transport urbain entre Rabat, Casablanca et Marrakech.
Ainsi, si l’État a réussi à maîtriser le temps grâce au LGV, la prochaine bataille sera celle de l’aménagement du parcours urbain, pour éviter que le train le plus rapide d’Afrique ne se transforme en une expérience lente dès que le passager descend de son compartiment.
Le train file à toute allure, et le reste doit impérativement suivre.