Guinée Conakry : réforme minière musclée, entre souveraineté et risques

En Guinée, la junte au pouvoir mène une refonte radicale du secteur minier pour défendre les intérêts nationaux. Depuis mai 2025, les autorités de transition du colonel Mamadi Doumbouya ont procédé à une annulation massive de permis miniers jugés non conformes. Pas moins de 170 titres d’exploration et d’exploitation ont été retirés par décret, après mise en demeure des titulaires restés inactifs. Le gouvernement s’appuie sur le Code minier pour sanctionner le non-démarrage de travaux, le non-paiement de redevances ou l’abandon de concessions : en somme, il « reprend la main » sur des gisements laissés en jachère ou exploités en toute irrégularité. Cette purge sans précédent vise surtout l’or : au total, 129 permis de recherche aurifère ont été révoqués fin mai 2025 pour manquements aux obligations. Officiellement, l’objectif affiché est de valoriser pleinement les ressources stratégiques du pays et de mettre fin à une logique d’accaparement improductif.

La volonté de souveraineté minière s’est illustrée début août 2025 par une mesure choc : le retrait de la concession de bauxite de Guinea Alumina Corporation (GAC), filiale du géant émirati Emirates Global Aluminium. Par décret, le président Doumbouya a purement et simplement annulé ce permis octroyé en 2005, reprochant à GAC des violations de la convention minière (retards d’investissement, engagements non tenus). Dans la foulée, l’État a créé une nouvelle société publique, Nimba Mining Company (NMC), dotée du titre minier sur le même périmètre de 690 km² dans la région de Boké. NMC, sous tutelle du ministère des Mines, a un an pour démarrer l’exploitation, avec obligation d’embaucher prioritairement des Guinéens à compétences égales. Cette nationalisation de fait marque un tournant : la Guinée, premier exportateur mondial de bauxite, veut désormais contrôler une plus grande part de la chaîne de valeur, quitte à évincer un partenaire étranger historique. La coïncidence de ces décisions révèle une stratégie assumée de « reprise en main » des ressources naturelles par l’État guinéen.

Parallèlement, Conakry exige des investisseurs restants un mieux-disant local. Une loi du 22 septembre 2022 impose déjà un contenu local minimal en main-d’œuvre, sous-traitance et financement guinéens dans chaque projet minier. Le gouvernement insiste désormais pour que les compagnies minières construisent des raffineries locales (par exemple pour transformer la bauxite en alumine) au lieu d’exporter uniquement la matière brute. Cet agenda a été inspiré par l’emblématique dossier du fer de Simandou : ce gisement géant, longtemps bloqué, a vu Doumbouya forcer en 2022 les deux consortiums rivaux (Rio Tinto et Winning Simandou) à s’allier dans une coentreprise avec l’État pour construire le chemin de fer et le port d’exportation. Le cadre conclu prévoit des pénalités sévères en cas de retard, pouvant aller jusqu’au retrait des permis. Pressurés, les partenaires de Simandou visent une première production de fer fin 2025 – un pari audacieux qui, s’il aboutit, augmenterait de 26% le PIB guinéen d’ici 2030 selon le FMI. L’État guinéen démontre ainsi sa détermination à ne plus être un simple fournisseur de minerais bruts, mais un acteur pesant dans la transformation et la décision stratégique.

Cette politique volontariste comporte cependant des risques. Plusieurs sociétés étrangères affectées par le retrait de titres pourraient saisir des tribunaux arbitraux internationaux (la Guinée est membre du CIRDI). Emirates Global Aluminium, par exemple, contestera probablement la perte de GAC, un investissement de plus d’un milliard de dollars. De son côté, la junte guinéenne mise sur le contexte actuel : alors que le financement occidental se raréfie, elle espère attirer de nouveaux partenaires (notamment russes, chinois ou du Moyen-Orient) prêts à accepter ses conditions plus strictes. La récente création de NMC pourrait aussi ouvrir la voie à des co-entreprises public-privé où l’État garde la main. Mais la confiance des investisseurs est ébranlée : l’incertitude juridique, la gouvernance militaire et le spectre de contentieux coûteux pourraient freiner l’exploration future. La Guinée, assise sur d’immenses réserves (bauxite, fer, or, minerais stratégiques), peut-elle capitaliser sur cette reprise de contrôle pour bâtir un secteur minier plus équitable et profitable localement, sans faire fuir les capitaux et l’expertise dont elle a besoin ? Cette quête de souveraineté minière portera-t-elle ses fruits ou risque-t-elle de se heurter aux réalités d’un secteur globalisé ?

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