C’est un phénomène lent, silencieux, mais aux conséquences potentiellement explosives. La France, l’Espagne et l’Italie, trois piliers historiques de l’Europe latine, sont aujourd’hui frappés de plein fouet par une crise démographique sans précédent. Selon Eurostat, le taux de fécondité moyen dans l’Union européenne est tombé à 1,38 enfant par femme en 2023, bien en deçà du seuil de renouvellement des générations fixé à 2,1. Parmi les pays les plus touchés, l’Italie et l’Espagne atteignent des niveaux historiquement bas, tandis que la France, longtemps exception démographique du continent, voit à son tour ses naissances plonger.
Avec 663 000 naissances en 2024, la France enregistre une baisse de 2,2 % par rapport à l’année précédente, portant le taux de fécondité à 1,62 – son plus bas niveau depuis un siècle. Si elle reste, sur le papier, la championne européenne de la natalité, cette performance est désormais en sursis. Derrière ces chiffres se cachent des réalités profondes : précarité économique, logement inaccessible, fatigue sociale, mais aussi un report massif de l’âge de la maternité, qui frôle désormais les 31 ans. Malgré les allocations familiales et un système de garde relativement développé, les politiques publiques peinent à inverser la tendance.
En Espagne, la situation est encore plus critique. Le pays affiche un taux de 1,12 enfant par femme, un record de faiblesse partagé avec Malte. Dans les grandes villes comme Madrid ou Barcelone, la maternité devient un luxe. En cause : des carrières précaires, des loyers prohibitifs et un modèle familial en mutation. L’âge moyen du premier enfant dépasse désormais 32 ans. L’Italie, quant à elle, sombre dans une spirale démographique alarmante. Avec un taux de fécondité tombé à 1,20 – et même en dessous dans certaines régions du Sud – le pays fait face à une érosion accélérée de sa population. Certaines communes rurales n’ont enregistré aucun nouveau-né en 2023, confirmant la désertification silencieuse du territoire.
Ce déclin démographique n’est pas qu’une statistique : il menace à court terme les équilibres économiques et sociaux. Une population vieillissante, une base productive qui se réduit, des systèmes de retraite sous pression… Pour les économistes, deux scénarios s’affrontent : soit l’Europe du Sud investit massivement dans l’innovation et la productivité comme le suggère Patrick Artus, soit elle se tourne vers une immigration plus structurée pour compenser le déficit naturel. D’autres voix, comme celle de la prix Nobel Claudia Goldin, appellent à une revalorisation du rôle des pères et à une réorganisation des politiques familiales autour de l’égalité et de la flexibilité.
Ce que vivent la France, l’Espagne et l’Italie n’est plus une alerte, mais un tournant. L’hiver démographique n’est plus à venir : il est là. La vraie question désormais est de savoir si ces sociétés sauront le traverser, s’y adapter, ou si elles continueront à s’enfoncer dans une logique de repli, au risque de se retrouver demain face à une crise sociale et économique bien plus profonde.