Célébrations en grande pompe, progrès en demi-teinte : l’Angola face à ses illusions de puissance

Sur la place de la République, au cœur de Luanda, l’Angola a célébré mardi ses cinquante ans d’indépendance avec un déploiement militaire impressionnant : soldats impeccablement alignés, fanfares, blindés et symboles de puissance nationale. Une mise en scène grandiose destinée à rappeler le parcours héroïque d’un pays libéré du joug colonial portugais en 1975. Mais derrière le faste et la solennité du défilé, une réalité moins glorieuse s’impose : un demi-siècle après son indépendance, l’Angola peine encore à transformer son immense potentiel en prospérité durable. Riche en pétrole, riche en histoire, mais pauvre en diversification économique, en gouvernance performante et en vision stratégique cohérente, le pays semble commémorer davantage ce qu’il a été que ce qu’il est devenu.

Le président João Lourenço, présidant la cérémonie depuis les tribunes du Mémorial de l’indépendance, a appelé à « bâtir une société inclusive, offrant des chances égales à tous les citoyens », tout en reconnaissant que « les défis restent nombreux et complexes ». Le chef de l’État a également évoqué les crises qui secouent le continent, du Sahel à la RDC, soulignant le rôle de l’Angola dans la stabilité régionale. Mais ses propos, empreints de solennité, peinent à masquer le contraste entre l’ambition affichée et la réalité socio-économique du pays.

Car malgré d’immenses richesses pétrolières, l’Angola n’a pas réussi à bâtir un modèle de développement capable de sortir la majorité de sa population de la pauvreté. L’économie demeure dépendante du brut, vulnérable à la volatilité des prix internationaux, et prisonnière d’un système politico-économique où le parti au pouvoir, le MPLA, règne sans partage depuis l’indépendance. L’agriculture, pourtant porteuse, reste sous-exploitée, l’industrie embryonnaire, et les infrastructures largement inégales. À chaque crise pétrolière, le pays se retrouve rappelé à sa fragilité structurelle.

Sur le plan continental, cette inertie stratégique se fait de plus en plus visible. Alors que des nations africaines comme le Maroc, le Rwanda ou le Kenya ont défini des stratégies claires — diversification industrielle, diplomatie proactive, partenariats structurants, montée en gamme technologique — l’Angola donne l’impression d’avancer par à-coups, sans choix assumé ni positionnement clair. Le manque de coopération approfondie avec les locomotives économiques du continent, notamment Rabat, illustre cette hésitation chronique. Quand d’autres bâtissent des alliances industrielles et logistiques panafricaines, Luanda semble encore osciller entre repli politique, dépendance énergétique et relations géopolitiques incertaines.

Cinquante ans après l’indépendance, l’heure n’est plus seulement au souvenir mais au bilan. L’Angola a gagné la paix, consolidé son État, construit des infrastructures et tenté quelques réformes. Mais il reste un paradoxe africain : une puissance potentielle qui ne convertit pas sa rente en progrès durable, un pays riche où la majorité vit encore pauvrement, une nation stratégique qui peine à choisir son avenir. Si Luanda veut célébrer demain non seulement son histoire, mais aussi sa réussite, elle devra trancher : se libérer de ses rigidités politiques, diversifier son économie et s’inscrire pleinement dans les dynamiques africaines de modernisation. Sans cela, les commémorations continueront à briller — et la croissance à décevoir.

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