Burkina Faso : huit humanitaires arrêtés pour « espionnage » selon les autorités

L’arrestation de huit travailleurs humanitaires accusés d’espionnage marque un nouveau tournant dans la politique sécuritaire du Burkina Faso. Selon les autorités, ces employés de l’Organisation internationale pour la sécurité des ONG (INSO), basée aux Pays-Bas, auraient transmis à des puissances étrangères des informations sensibles sur les opérations militaires.

Le ministre de la Sécurité, Mahamadou Sana, affirme que l’organisation a collecté des données sur les zones d’opération, les itinéraires de convois et les effectifs déployés — autant d’éléments jugés confidentiels. Parmi les personnes arrêtées figurent deux Français, un Tchèque, un Malien et quatre Burkinabè. Les autorités n’ont pas précisé les circonstances ni les dates des interpellations.

L’INSO, de son côté, réfute catégoriquement ces accusations. L’organisation assure que les informations qu’elle compile visent uniquement à protéger les travailleurs humanitaires sur le terrain, dans un environnement devenu l’un des plus dangereux au monde. « Les données que nous recueillons ne sont pas confidentielles et sont, pour la plupart, déjà connues du public », a indiqué l’institution, tout en affirmant coopérer avec les autorités pour obtenir la libération de son personnel.

Mais au-delà du fait divers diplomatique, cette affaire révèle la méfiance grandissante de la junte burkinabè envers les acteurs étrangers. Depuis le coup d’État de 2022, le régime du capitaine Ibrahim Traoré s’efforce de rompre avec l’influence occidentale — notamment française — au profit d’un rapprochement assumé avec la Russie. Cette réorientation stratégique s’accompagne d’une rhétorique nationaliste forte, où les ONG et les médias internationaux sont régulièrement accusés de servir des intérêts étrangers.

Dans un pays où les attaques jihadistes se multiplient et où une grande partie du territoire échappe au contrôle de l’État, la tentation est grande de désigner des boucs émissaires. Les arrestations d’humanitaires participent de cette logique de suspicion généralisée. En transformant les observateurs en espions présumés, le pouvoir militaire cherche à réaffirmer sa souveraineté, quitte à isoler davantage un pays déjà exsangue.

Sous couvert de « sécurité nationale », la junte durcit son contrôle sur l’information, restreint la présence étrangère et réduit l’espace humanitaire. Une dérive autoritaire que dénoncent les défenseurs des droits humains, mais qui, à Ouagadougou, trouve un écho dans un discours officiel désormais centré sur la défiance et le repli.

Le Burkina Faso, pris entre la guerre contre les groupes armés et la volonté d’émancipation politique, semble désormais piégé dans une double bataille : celle pour sa sécurité, et celle pour sa liberté.

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