Rédigé par : Safae Noury / Keltoum Boudahr
Le ministre de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, Mohamed Mehdi Bensaïd, n’a pas manqué, à plusieurs reprises, de saluer l’application « Pass Jeunes », destinée aux Marocains et aux résidents étrangers au Maroc âgés de 16 à 30 ans.

Cette application, qui a débuté comme une expérience pilote dans la région Rabat-Salé-Kénitra, avant que certains de ses services ne soient généralisés à l’échelle nationale au début de cette année, est présentée comme l’un des grands projets sociaux offrant aux jeunes des réductions et avantages dans les domaines de la culture, du sport, du transport, des services financiers, et même de la santé.
Des réductions sur les billets de théâtre et d’entrée aux musées, aux facilités de réservation des terrains de football et du transport en tramway, en passant par des offres bancaires dédiées aux jeunes, le « Pass Jeunes » apparaissait comme une initiative ambitieuse porteuse de grandes promesses. Avec l’intégration de la carte OMNIDOC parmi les services proposés, censée offrir des réductions sur le transport en ambulance, les services infirmiers et la téléconsultation médicale, le projet semblait entrer dans une phase plus sérieuse… du moins en apparence.
Des promesses de l’application à la réalité du terrain
La mission a débuté à Casablanca, une ville qui ne compte que quatre espaces de santé pour les jeunes affiliés à l’application : l’Espace Santé Jeunes Derb El Khair à Aïn Chock, l’Espace Santé Jeunes Ennassr à Ben M’sik, l’Espace Santé Jeunes El Wouroud à Fida-Mers Sultan, et enfin l’Espace Santé Jeunes Farah Essalam à Hay Hassani.

Parmi les premières observations relevées par l’équipe, figure le fait que les espaces de Aïn Chock, Ben M’sik et Fida ne disposent d’aucun numéro de contact ni de lien direct permettant de localiser leur emplacement sur les cartes en ligne. Quant au quatrième espace, situé à Hay Hassani, il propose bien un numéro de téléphone, mais celui-ci reste sans réponse malgré plusieurs tentatives d’appel.

Après une enquête de terrain et avec l’aide d’une source au sein de l’arrondissement de Hay Hassani, l’équipe est parvenue à localiser le dernier espace, rattaché au centre de santé Farah Essalam, en face de la mosquée Farid Al Ansari. C’est alors que le groupe a décidé d’endosser le rôle de jeunes à la recherche d’un service de consultation médicale gratuite.
Difficultés à localiser le lieu… et une surprise encore plus grande à l’intérieur du centre.

Bien que le rendez-vous ait été pris via l’application entre midi et une heure, l’équipe a d’abord été confrontée à un manque total de géolocalisation précise de l’espace sur la plateforme : aucune carte, aucun lien Google Maps, ni numéro de téléphone fonctionnel pour obtenir des informations, alors même que l’application est censée cibler une génération habituée aux outils numériques pour se déplacer et communiquer.
Une fois sur place, il s’est avéré que le problème venait de l’absence de lien entre « l’Espace Santé Jeunes » et le centre de santé dont il dépend, à savoir le Centre de Santé Farah Assalam dans l’arrondissement du Hay Hassani. De plus, l’application ne présente aucune photo d’identification des lieux, rendant la localisation encore plus difficile.
Dans le service de dentisterie, où l’équipe s’est rendue pour bénéficier d’une consultation gratuite, la surprise fut de taille : le personnel médical a affirmé ne plus travailler avec l’application depuis un certain temps. Les consultations réservées via JAWAZ Chabab (le Passe Jeunes) ont été suspendues en raison du manque de moyens humains et matériels, ainsi que de la capacité d’accueil limitée. Le responsable a précisé qu’ils reçoivent uniquement les habitants du quartier disposant de leurs dossiers médicaux une pratique habituelle dans tout centre de santé local. Autrement dit, posséder le Passe Jeunes ne confère aucun avantage particulier.

Le responsable a indiqué que le personnel du centre se félicite du partenariat entre le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication et le ministère de la Santé et de la Protection sociale. Cependant, il a reconnu l’existence de graves dysfonctionnements au sein de l’application, estimant que la fonction de prise de rendez-vous devrait être suspendue temporairement jusqu’à ce que la plateforme soit améliorée et les problèmes techniques résolus.

La réponse de l’application… et la double discours
Pour vérifier les informations et respecter le principe d’équilibre journalistique, l’équipe de THE PRESS a contacté le numéro dédié aux plaintes et remarques concernant l’application, posant plusieurs questions précises sur les causes des dysfonctionnements : pourquoi l’application attribue-t-elle un rendez-vous dans un espace situé en dehors de ma zone sans avertissement préalable ? Existe-t-il un centre dans ma zone de résidence et pourquoi son emplacement n’apparaît-il pas sur la carte ? Pourquoi les numéros affichés dans l’application ne répondent-ils pas ? Et pourquoi les services de santé sont-ils limités à certaines spécialités et centres dans une grande ville comme Casablanca, alors que le critère de résidence est supposé être essentiel selon le personnel médical ?
La réponse obtenue était brève et contradictoire avec les déclarations du personnel médical. La représentante a affirmé que l’application fonctionne effectivement dans plusieurs centres, que l’utilisateur peut réserver un rendez-vous dans n’importe quel centre sans condition de résidence, et que les centres n’ont pas le droit de limiter ou suspendre le service aux habitants d’une zone donnée.
Cependant, interrogée sur le nombre limité de centres à Casablanca (seulement quatre) et l’absence d’autres spécialités, elle a indiqué ne pas disposer de ces informations, ajoutant que l’application est toujours en cours d’évolution et de modifications pour améliorer son efficacité. Elle a également pris note des remarques de l’équipe concernant les numéros hors service et l’absence de géolocalisation, reconnaissant avoir reçu les mêmes observations d’autres utilisateurs et promettant de les transmettre aux autorités concernées, en assurant qu’elle tiendrait THE PRESS informé dès que des mises à jour seraient disponibles.
Par ailleurs, l’équipe journalistique a tenté de contacter les trois autres espaces pour vérifier l’efficacité des services liés au « Passeport Jeunes », mais tous les efforts sont restés infructueux.
Résumé de l’enquête de THE PRESS : la réalité contredit le discours
Les conclusions de l’enquête menée par THEPRESS à travers une simple expérience sur le terrain dans un centre choisi au hasard suffisent à semer le doute sur les autres services de l’application liés à la santé. Si un service essentiel comme la consultation gratuite est inefficace dans la capitale économique, comment peut-on faire confiance aux autres services ? Et si les jeunes ont du mal à localiser un centre pour un examen de santé gratuit, comment pourraient-ils compter sur l’application en situation d’urgence ?
Les questions sont nombreuses, les réponses rares. Le « Passeport Jeunesse » est-il un véritable projet au service des jeunes, ou simplement un outil promotionnel ? Vivons-nous une phase de numérisation pour l’image plutôt que pour servir le citoyen ?
Cette enquête a démontré que, dans sa dimension sanitaire, l’écart entre le discours officiel et la réalité est désormais flagrant. Jusqu’à nouvel ordre, le « Passeport Jeunesse » apparaît davantage comme un projet de vitrine que comme un outil répondant réellement aux besoins des jeunes Marocains.