L’avertissement lancé par une dizaine d’économistes de premier plan, dont les prix Nobel Joseph Stiglitz et Daron Acemoglu, résonne comme une alarme planétaire : le journalisme d’intérêt public, pierre angulaire d’une information indépendante et de qualité, est menacé d’effondrement. Dans une déclaration collective publiée par le Forum sur l’information et la démocratie, ils rappellent que « l’accès à des informations fiables est la ressource fondamentale qui alimente l’économie du XXIe siècle », tout comme le charbon et la vapeur furent hier les moteurs de la révolution industrielle. L’enjeu dépasse le seul destin des médias : il touche à l’équilibre même de nos démocraties et à la solidité de nos économies.
Car dans un monde dominé par l’intelligence artificielle, les mégadonnées et l’hyper-connectivité, l’information est devenue une matière première invisible mais essentielle. Elle éclaire les choix des décideurs, structure les marchés, façonne la confiance collective. Pourtant, cette ressource vitale s’érode. L’effritement du modèle économique des médias, l’emprise des plateformes numériques et la marchandisation de l’attention fragilisent l’écosystème du journalisme. Là où l’information vérifiée recule, prolifèrent les rumeurs, la propagande et la désinformation. La conséquence est directe : des sociétés moins éclairées, des économies plus vulnérables et des démocraties affaiblies.
L’histoire récente en fournit de tragiques illustrations. Les crises financières, sanitaires ou climatiques montrent combien l’absence d’informations fiables décuple la confusion et aggrave la défiance. Sans presse indépendante, l’opacité prospère et les décisions publiques comme privées se nourrissent de faux-semblants. C’est un cercle vicieux : le discrédit de l’information nourrit la polarisation, laquelle sape à son tour la capacité collective à affronter les défis communs. La perte du journalisme d’intérêt public ne serait pas seulement une régression démocratique, mais aussi une régression économique.
Dès lors, il est urgent de repenser notre rapport à l’information. Comme l’air ou l’eau, elle doit être considérée comme un bien commun, protégé et soutenu par des mécanismes solides, au-delà des logiques marchandes immédiates. Investir dans le journalisme, c’est investir dans la transparence, la stabilité et la prospérité de demain. À l’heure où l’intelligence artificielle bouleverse nos sociétés, l’avenir ne pourra être bâti sur des illusions. Il a besoin d’une presse libre, rigoureuse et durable. Reste alors la question cruciale : mais comment le sauver ?