Côte d’Ivoire – Le pari risqué d’Alassane Ouattara : un quatrième mandat sous le signe de la rupture silencieuse

Alassane Ouattara a tranché. Contre toute attente, et au terme d’un Conseil politique du RHDP soigneusement orchestré, le président ivoirien a annoncé sa décision de se porter candidat à la présidentielle de 2025. À 83 ans, celui que ses partisans qualifient d’homme d’État visionnaire choisit de prolonger son règne entamé en 2011, invoquant la nécessité de préserver la stabilité et la continuité des réformes économiques. Mais derrière la rhétorique d’un choix “dicté par les circonstances” se profile un geste politique lourd de symboles et de conséquences, à la fois révélateur d’un système verrouillé et catalyseur de tensions anciennes jamais vraiment dissipées.

Cette décision marque un tournant dans le récit du pouvoir ivoirien. En 2020, Ouattara s’était déjà engagé sur la voie controversée d’un troisième mandat, en s’appuyant sur la nouvelle Constitution pour remettre les compteurs à zéro. L’onde de choc de cette révision avait alors secoué le pays, provoquant des violences électorales meurtrières. Loin d’une parenthèse, cette dérive institutionnelle trouve aujourd’hui son prolongement dans une nouvelle candidature, qui, si elle est juridiquement défendable, s’inscrit en faux contre l’esprit même de l’alternance démocratique. Le message est clair : l’heure de la succession n’a pas encore sonné, faute de figure de proue incontestable ou de volonté réelle de transmettre le flambeau.

Officiellement, Ouattara répond à un appel du parti et de la nation, invoquant les défis sécuritaires, les turbulences régionales et la nécessité de consolider les acquis économiques. Mais cette justification, rodée et rodée encore, ne convainc pas tout le monde. Pour l’opposition, c’est l’expression d’une présidence crispée, obsédée par le contrôle du jeu politique, et incapable d’organiser sa propre relève. Les camps de Laurent Gbagbo et du PDCI y voient un déni d’alternance, un verrouillage du pouvoir maquillé en devoir patriotique. L’opinion publique, elle, oscille entre lassitude et résignation, sur fond de méfiance vis-à-vis d’un processus électoral qui s’annonce à nouveau sous haute tension.

La Côte d’Ivoire, forte de ses ambitions économiques mais fragile sur le plan politique, entre ainsi dans une phase charnière. La candidature d’Ouattara, loin d’être un simple prolongement de mandat, constitue une inflexion majeure de l’histoire contemporaine du pays. Elle interroge le rapport au pouvoir, la capacité des institutions à garantir une démocratie vivante, et l’avenir d’une génération qui n’a connu que les figures du passé. En s’engageant à nouveau dans la course, le président ivoirien joue sa dernière carte. Mais à quel prix ? Celui d’une paix sous condition, ou d’une relance des fractures qu’on croyait cicatrisées.

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