Avec ses réserves colossales de bauxite — les plus importantes au monde — la Guinée a longtemps été considérée comme un gisement à ciel ouvert au service des grandes puissances industrielles. Mais depuis l’arrivée au pouvoir du colonel Mamadi Doumbouya en septembre 2021, le pays opère un virage stratégique : revoir les conditions d’exploitation minière, imposer des obligations de transformation locale, et reprendre le contrôle sur les permis dormants ou spéculatifs.
Face à la pression des autorités, plusieurs majors du secteur ont annoncé des projets de raffineries d’alumine sur le sol guinéen — une étape cruciale vers une véritable valorisation locale du minerai.
Parmi les projets les plus avancés, SMB-Winning Consortium prévoit la construction d’une raffinerie d’alumine à Dapilon, dans la région de Boké, pour un investissement estimé à plus de 1,2 milliard de dollars. Le projet comprend également une centrale thermique dédiée et un port minéralier intégré. L’usine devrait, selon les prévisions, produire 1 million de tonnes d’alumine par an à partir de 2026.
Quand a elle, la GAC (filiale d’Emirates Global Aluminium) étudie la construction d’une raffinerie à Kamsar. Si le groupe émirati reste discret sur les délais, il a signé un accord de principe avec le gouvernement pour respecter le décret imposant la transformation locale.
Enfin, Rusal, de son côté, a relancé le projet de modernisation de l’usine d’alumine de Friguia, dont la capacité pourrait dépasser les 600 000 tonnes par an. Toutefois, les sanctions occidentales contre le groupe russe pourraient fragiliser les financements nécessaires.
Ces projets sont présentés comme les premiers jalons vers un écosystème industriel intégré, mais ils accusent encore des retards structurels liés aux questions d’accès à l’énergie, d’infrastructures logistiques et de financement. L’État guinéen réclame des engagements fermes, des calendriers précis et des garanties d’investissement, menaçant de retirer les permis aux entreprises récalcitrantes.
En mai et juin 2025, le ministère des Mines et de la Géologie a franchi un cap inédit en retirant plusieurs permis miniers à des sociétés inactives ou spéculatives. Cette vague de révocations s’inscrit dans une politique volontariste visant à nettoyer le cadastre minier et assainir le climat des affaires.
Cette politique de recentrage sur les acteurs crédibles vise à envoyer un signal clair : les ressources guinéennes ne peuvent plus être immobilisées à des fins spéculatives, au détriment de l’intérêt national.
Pour le colonel Doumbouya, il s’agit d’un impératif de souveraineté économique. Lors d’un discours à Boké en avril 2025, il déclarait : « Le temps des contrats léonins est révolu. Ceux qui veulent extraire notre bauxite doivent aussi participer à sa transformation ici. »
En plaçant la transformation locale au cœur de sa politique minière, la Guinée tente de briser la malédiction des matières premières. Mais pour réussir ce pari industriel, elle devra trouver un équilibre subtil : attirer et sécuriser les investissements tout en renforçant la régulation et la gouvernance. Dans ce jeu d’équilibriste, l’enjeu n’est pas seulement économique, il est éminemment politique — faire de la bauxite non pas une malédiction, mais un moteur de développement souverain.
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